14/02/2019
Cave Divins
QUEL VIN POUR FAIRE L'AMOUR ? Thomas Bravo-Maza nous livre les clés du paradis.
Pour beaucoup d'entre nous, la question prête à sourire d'une façon allusive, tout au plus. Mais le sujet est infiniment plus sérieux et technique qu'il n'y paraît.
On peut examiner la question par le petit bout de la lorgnette, si j’ose dire, par l'étude du seul pouvoir aphrodisiaque de l'alcool en général et du vin en particulier. La boisson alcoolisée peut-elle être véritablement aphrodisiaque ? A-t-elle le pouvoir de mettre le feu au désir ?
Entendons-nous bien : si l'on considère qu'un aphrodisiaque est un produit qui décuple les performances sexuelles, je réponds « oui et non ! ». Ce cher William Shakespeare, qui en connaissait un rayon sur les hommes et le moteur de leurs désirs, nous met en garde dans son Macbeth, lorsque Macduff demande à un portier encore saoul quelles sont ces choses que provoque le boire.
Et le portier de répondre : « La lubricité, Monsieur, ça la provoque et ça la révoque. Ça provoque le désir mais ça empêche l'exécution (…) Ça la fait et ça la défait, ça la met en route, et puis en déroute ; ça la stimule et ça la décourage ; ça la dresse et ça la débande ; et, en guise de conclusion, ça l'embobine en rêve, ça vous met sur le flanc et vous la laisse en plan »
Si l'on entend, en revanche, par aphrodisiaque, un produit qui désinhibe, je réponds «oui !» sans hésiter. A condition, bien sûr, de ménager sa monture.
Ce liminaire en tête, tentons de répondre à la question « que boire avant » ?
Plusieurs solutions simples et ergonomiques s'offrent à nos sens : L'outil le plus simple à utiliser est sans doute un vin blanc moelleux, ni trop sec ni trop sucré, en l'occurrence un Pacherenc du Vic Bilh ou un Jurançon. C'est un vrai couteau suisse, ce vin. Son côté acidulé excite les papilles, fait saliver (l'enchaînement des baisers peut alors se faire sans aucune difficulté) et rééquilibre bien sa « sucrosité intrinsèque» comme vous dirait, pompeusement, un oeonologue. En clair, un Pacherenc ou un Jurançon, ça entre dans toutes les bouches, quelque soit le style qu'on aime. Pourquoi ? Ces petits vignobles à cheval sur les Hautes-Pyrénées, le Gers et les Pyrénées-Atlantiques, produit facilement de jolis raisins dorés, sucrés et acides à la fois, sur des touches très franches d'ananas, de pêche et d'abricot. Des arômes et un goût qu'on doit aux cépages à partir desquels on fait le Pacherenc et le Jurançon, les bien nommés petit courbu, courbu, gros manseng, petit manseng et arrufiac.
Des noms ? Je recommande sans réserve le Pacherenc du Vic-Bilh du Château d'Aydie (Famille Laplace, à Aydie) ou du Domaine Labranche-Laffont - une option maline à moins de 15 euros, ce qui n'est pas désagréable, convenez-en. En Jurançon, si j'étais vous, je jetterais mon dévolu sur tout ce que produit Jean-Marc Grusssaute.
Vous avez des projets plus lascifs encore, dans l'objectif de susciter carrément l'envoûtement ? La syrah est à mes yeux incontournable grâce à ses qualités aromatiques mais aussi son goût. Les spécialistes ne disent-ils pas que la syrah est aguicheuse, allumeuse, voire, dans la bouche de certains experts mauvaises langues, qu'elle est putassière ? Je m'inscris en faux et avec force contre ce dernier qualificatif ! La syrah a de merveilleuses qualités : des arômes réglissés étourdissants de cassis et de mûre rehaussés, parfois, d'une note de violette - voire d'iris qui jaillissent littéralement de votre verre. Il n'est pas rare non plus de ressentir la présence d'une notre de viande de bœuf crue (un steak haché venant d'être fait devant vos yeux, comme c'est l'usage), ce qui est déjà une belle invite à partager les plaisir de la chair. En bouche, les tanins gras du vin font déjà l'amour avec votre langue, on voudrait que cette f***e danse jamais ne finisse, et soudain c'est la fumée, parfois le musc s'offrent sans retenue.
Est-ce là vulgarité ? Allons ! La syrah est le cépage oriental par excellence, le sésame qui vous faut pour pénétrer aussitôt dans un palais digne des Mille et Une Nuits. On a longtemps cru que le cépage syrah provenait de Chiraz, en Iran. Je dois bien confesser qu'une telle évocation m'a toujours fait fantasmer. Hélas, hélas, l'ampélographie (la science qui étudie les cépages), discipline beaucoup plus exacte depuis les progrès de la génétique, a récemment prouvé – les travaux de José Vouillamoz en témoignent – qu'en réalité la syrah a deux parents originaires de la Savoie et du Rhône, la mondeuse blanche et la dureza. En définitive, la syrah « prend sa source » en montagne alpine. Si c'était là un signe de la nature pour accéder aux sommets de la séduction ?
Vous décidez de la jouer « grand style », à la manière de Bob Saint-Clar - Jean-Paul Belmondo - face à la ravissante Tatiana, alias Jacqueline Bisset, dans Le Magnifique, de Philippe de Broca ? Parfait. Mais avec quel vin de syrah? Une Côte Rôtie, bien sûr ! Personne, je dis bien personne, ne peut résister à ça. Mais attention : une grande bouteille vous laissera sur le carreau (de 25 à 80 euros), le prix à payer pour monter directement au paradis. Surtout si on prononce les mots suivants : « Domaine Jamet » (une grâce sans aucun équivalent, un vin qui vous envahit et vous possède immédiatement), « Georges Vernay » (un côté voluptueux dû à une femme vigneronne qui sait ce que ce mot veut dire), « René Rostaing » (une version plus cérébrale, dans un style un rien plus subtil) ou « Pierre Gaillard » (un physique généreux, des formes pulpeuses et très rassurantes).
Alternative « low cost » mais pas stylée Ryanair pour un sou : une belle syrah en Vin de Pays des collines rhodaniennes (depuis 2009, réglementation européenne oblige, on dit IGP Collines rhodanniennes). Un vin de pays, certes, mais ouvragé par l'un de ces grands vignerons de la Côte Rôtie. Tout vigneron d'élite apporte le même soin pour élaborer tous ses vins, que ce soient des vins de pays ou des grands crus, alors profitez-en et puisez généreusement dans la liste des noms que je viens de vous donner.
Pour les amateurs d'effervescence, la voie, sans risque - encore que - le Champ'. Mais pour séduire, il faut surprendre, non ? A moins de disposer d'un physique hors du commun tendance Scarlett Johansson ou Ryan Gosling.
Si vous tenez absolument à une version à bulles pour célébrer les noces d'Eros (et de Dionysos), tâchez de faire main basse sur l'un des vins pétillants les plus originaux de France, le Cerdon du Bugey méthode ancestrale. On rend les armes face à ce rosé pétillant, un rien sucré, produit en petites quantités dans le département de l'Ain à partir du gamay et du poulsard. Un Beau Cerdon, c'est plein de fruit, plein d'esprit, léger. On finit la bouteille (fort peu alcoolisée, 8%vol.) « avant même de ne pas s'en apercevoir », comme m'avait dit un jour Claude Chabrol, avec l'oeil qui frisait. L'appellation Cerdon est encore assez confidentielle, les prix sont sages, bref c'est un plan B qui tient parfaitement la route. Je vous livre deux noms de confiance : Renardat-Fâche et Raphaël Bartucci. Autre grand choix, dans la Loire : les bulles rouges ou grises du Domais Patrice Colin. Un choix très malin à moins de 13 €.
On ne va pas s'arrêter en si bon chemin. C'est tout le sens de la question : que boire « pendant » ? Pour paraphraser une célèbre marque de lingerie : « Leçon n°2 : jouer avec le feu ». Réponse : on joue avec le feu beaucoup plus efficacement avec un gewurztraminer grand cru Brand. En Alsacien, « brand » signifie « feu ». Ce toponyme ne tient pas du hasard, bien évidemment. Ce grand cru alsacien Brand - vous ne le saviez peut-être pas – s'avère un allié de premier choix pour le contexte qui nous intéresse ici. Ses 57,9 hectares sont assis sur un sol granitique exposé en partie plein sud et donnent naissance à des raisins très sucrés, fortement épicés. Les vignerons qui désirent en tirer toute la quintessence ont à cœur d'exprimer ce tempérament de feu que les jeunes (de 16 à 18 ans) ou les adulescents (de 18 à 36 ans) qualifieraient volontiers de «chaud -bouillant».
Dans ce terroir de rêve du Brand – il compte parmi mes 10 préférés en Alsace – de Turckheim (à 8 km à l'ouest du centre-ville de Colmar), la nature fait décidément bien les choses : le Brand est formé de deux collines rondes et avenantes. Leur contemplation pour de vrai ou au pire, sur Internet, est une invitation à s'inscrire dans des jeux charnels très amusants.
En version « vendange tardive » (sucrée-acidulée, peu chargée en alcool car tout le sucre présent ne s'est pas transformé en alcool) ou normale (le vin se montre nettement plus sec mais la sensation d'alcool est plus présente), c'est le cépage gewurztraminer du Brand qui s'offre sans aucune retenue. Ses lascives notes de fleurs (rose fraîche), de fruits tropicaux (de litchi) et de bâton de réglisse enflamment immédiatement les sens. L'expérience prend un tour franchement inspirant pour peu que l'on se soit évertué(e) à mettre la main sur un flacon du Domaine Josmeyer (à Wintzheim), Albert-Boxler (à Niedermorschwihr) et Zind-Humbrecht (à Turckheim). À des prix de grands crus que l'Alsace est seule région viticole de France à pouvoir encore offrir.
Thomas Bravo-Maza
Divins, cave et bar à vins d'exception, 25 rue Herold 75001 Paris
www.divins.eu