04/02/2024
Bonjour à tous,
Les agriculteurs sont-ils inconscients ? Malfaisants ? Ou tout simplement irresponsables ?
En 2023, il y a eu 26 300 tracteurs immatriculés en France ! La puissance moyenne d’un tracteur immatriculé dépasse les 163 CV !Legrand public a pu s’en apercevoir ces derniers jours avec les manifestations de blocages des routes et autoroutes. Des monstres à plus de 120 000 € pièce, jusqu’à 480 000 €.
A quoi sert donc un tracteur de cette puissance ? A labourer principalement car pour retourner le sol il faut de la puissance. Tirer un engin agricole ou apporter le foin aux bêtes nécessite une puissance bien moindre.
J’ai eu la plus agréable surprise de ces dernières semaines en entendant Marc-André Selosse – que je critique souvent par ailleurs – parler dans les mêmes termes que moi à propos de la révolte paysanne actuelle !
Il résume sa pensée dans une tribune que le journal « Le Monde » a publiée le 1erfévrier dernier. En voici quelques extraits : « Disons-le d’emblée et avec inquiétude : notre agriculture va dans le mur, financier, écologique et sanitaire. Les pratiques actuelles détruisent les supports écosystémiques de l’agriculture. Le labour trop fréquent décuple l’érosion et détruit la vie microbienne qui fertilise les sols, les faisant littéralement fondre.
En trente ans, les pesticides ont éliminé 80 % des insectes, et en quinze ans ils ont tué 30 % des oiseaux : on voit s’effondrer la pollinisation par les insectes, qui donne graines et fruits, et disparaître la régulation des insectes indésirables par les oiseaux.
Nous compensons par des engrais minéraux et des pesticides, au prix d’une catastrophe sanitaire. Les phosphates des engrais minéraux sont contaminés par du cadmium, toxique et cancérigène, qui se retrouve dans nos aliments : les Français avalent 1,4 fois la dose maximale recommandée par l’OMS ! Les résidus de pesticides intoxiquent les eaux potables et empoisonnent les agriculteurs eux-mêmes, qui présentent des surcroîts de cancers (+ 20 % de myélomes et + 50 % de lymphomes, selon l’étude Agrican) ou de maladies de Parkinson et d’Alzheimer.
Oui, les agriculteurs sont les premières victimes, pas seulement financières…
Les mesures demandées par la profession agricole, voire accordées par le gouvernement, enferment dans la dépendance aux combustibles fossiles ou aux pesticides, et retardent la mise en placed’alternatives.
Mais la réalité écosystémique et sanitaire est têtue : le fossé qui la sépare des pratiques agricoles augmente et promet, à terme, un atterrissage encore plus violent. « Plus grave, on se dispense de solutions dérivées des sciences écologiques, ce que l’on appelle l’agroécologie. Les haies que l’on répugne à replanter préviennent l’érosion et réduisent de80 % les bioagresseurs des cultures, en freinant leur dispersion : on l’a oublié, en leur préférant les pesticides. Or, le linéaire de haies reste bas, car les arrachages continuent et annulent les replantations subventionnées ».
C’est ce que relève le Rapport du CGAAER n° 22114 – La haie, levier de la planification écologique publié sous l’égide du Ministère de l’Agriculture en avril 2023. Des milliers de kilomètres de haies disparaissent encore chaque année du paysage agricole français et les programmes de plantation restent marginaux face à ce phénomène.« Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des bocages français », soit environ1,4 million de kilomètres, est-il relevé dans ce rapport. Loin d’être enrayé, le mouvement s’est accéléré ces dernières années, selon ce rapport qui mentionne une perte annuelle moyenne de « 23 571 km/an entre2017 et 2021 », contre « 10 400 km/an entre 2006 et2014 ».
En face, la « politique de plantation » permet de créer « environ3 000 kilomètres » de haies par an. « Si l’accent est souvent mis sur la création de nouvelles haies, il convient avant tout de mieux protéger le linéaire existant », concluent les auteurs.
Le journal Le Monde précise dans un ancien article publié le 27 avril 2023 :« Les causes de cette disparition sont connues : les campagnes françaises se sont largement métamorphosées après la seconde guerre mondiale sous l’effet du « remembrement » des terres agricoles et de la mécanisation de l’agriculture. Les parcelles ont été regroupées et les haies arrachées pour former des champs plus grands accessibles aux tracteurs.« Aujourd’hui encore, selon le rapport, les arbres souffrent souvent d’une image désuète, tandis qu’une agriculture plus technologique se développe, là encore complexifiée par la présence d’arbres : pilotage automatique des engins agricoles, surveillance des cultures par drones et satellites, etc. »
Ces réserves de biodiversité, remparts contre l’érosion des sols, sont pourtant utiles aux rendements agricoles. « Face aux aléas climatiques de plus en plus intenses et fréquents, les haies et les arbres représentent une vraie solution », rappellent les auteurs, citant leurs « bénéfices agronomiques » (effet brise-vent, ombre pour le bétail, lutte contre l’érosion, abri pour les prédateurs des nuisibles…) et « services écosystémiques » (stockage de carbone, régulation de l’eau, préservation de la biodiversité…).
Las, « l’agriculteur perçoit souvent la haie comme une charge nette directe liée à la plantation et à l’entretien, sans en voir les bénéfices », note le rapport.
Les 14 CERFA annoncés aux journaux télévisés à remplir pour bénéficier des aides à la plantation ne sont pas la cause de la disparition des haies.
Les preuves affluent du non-respect par un nombre non négligeable d’agriculteurs des principes agroécologiques pourtant enseignés à leurs futurs collègues dans les écoles d’agriculture et d’agronomie en France et dans le reste du monde.
Quels effets cette attitude a sur la santé publique ? Il faut lire le rapport de novembre 2023 de l’Enquête AGRICAN sur les cancers dans la population française !
Cette lecture apporte une observation détonante ! Malgré leur contact privilégié aux pesticides, la population agricole des départements évalués souffre moins de cancers que la population générale de ces départements !
« A ce jour, le CIRC a évalué la cancérogénicité d’une soixantaine de pesticides, dont une dizaine ont été classés comme des cancérigènes certains (groupe 1) ou probables (groupe 2A). Pour de nombreuses autres molécules mises sur le marché en France dans le passé ou actuellement (plus de 1 000), les données scientifiques accessibles sont aujourd’hui insuffisantes pour permettre une évaluation par le CIRC…… Les expositions ne se produisent pas uniquement lors des journées de traitement mais également lors du contact avec des végétaux ou des surfaces contaminées par les traitements ».
L’espérance de vie est plus importante au sein de la cohorte des agriculteurs enquêtés par rapport à la population générale. Toutes causes confondues, les hommes et les femmes de la cohorte ont une mortalité inférieure de 25% à celle de la population générale.
Les rapporteurs expliquent ce constat d’une part par un tabagisme nettement moindre chez les agriculteurs que dans la population générale et d’autre part, par un phénomène décrit par les épidémiologistes sous le terme “d’effet du travailleur sain”. Brièvement, disent ces rapporteurs, « cela signifie que les cohortes de travailleurs n’incluent pas les personnes dont l’état de santé est trop précaire et incompatible avec une activité professionnelle ».
Bref, les agriculteurs et les agricultrices sont vaillants, ne fument pas et donc sont plus résistants et résistantes aux incidences des pesticides sur leur santé.
L'arroseur n'est pas arrosé !!!
Pour rappel, 45% des agriculteurs n’ont jamais fumé contre 37% dans la population générale et 85% des agricultrices n’ont jamais fumé contre 49% dans la population générale.
Par contre, la population agricole est plus sujette aux décès par certaines maladies de l’appareil digestif (+27% chez les hommes et +29% chez les femmes), des excès de décès du fait d’arthrites rhumatoïdes et ostéoarthrites (+14%). Ces maladies ont été étudiées très récemment au sein de la cohorte américaine (Agricultural Health Study) et pourraient être liées à diverses tâches agricoles dont l’utilisation de pesticides, les semis ou encore l’usage d’engrais chimiques.
Comment interpréter ces données relatives au monde agricole ? A son refus de baisser l’usage des pesticides par la pratique de techniques culturales respectant la Nature et tout autant productives que les méthodes chimiques, la dégradation des sols et de l’environnement en moins ?
Je suis rassuré que des observateurs légitimes et plus connus que the guru des marais assènent les vérités qu’il faut dire aux agriculteurs et au grand public.
Les constructeurs de nos paysages et de notre nourriture se trompent visiblement de combat dans le domaine de l’agroécologie et du respect de l’environnement.
Les commentateurs du PAF qui disent que « les agriculteurs ne vont quand même pas détruire leur outil de travail » se trompent eux aussi dans leurs analyses succinctes. Les règles du commerce international dénoncées participent d’une tout autre problématique qui touche le portefeuille et non l’environnement, la santé et les dépenses publiques en soins médicaux.
Avons-nous le temps d’attendre qu’une hypothétique révélation christique éclaire les agriculteurs adeptes du tout chimique?
Christian Carnavalet