23/09/2024
🖊 Sarah Chiche nous live une sublime chronique sur le nouveau roman d'Emma Becker, « Le mal joli ».
« Disons-le sans détour. J’ai ouvert le nouveau livre d’Emma Becker comme certains enfants regardent par le trou de serrure d’une chambre fermée sur une scène dont ils savent d’avance qu’elle leur déplaira tout à fait. Me voilà bien punie de ma curiosité, et pour le meilleur. Je ne m’attendais guère à trouver à ce livre autant d’esprit, à ce que sa lecture se transforme en expérience existentielle. Il y a une forme de radicalité dans cette affaire, un refus du compromis, qui est en l’espèce à saluer. Des pages magnifiques sur le dur arrachement à soi par la maternité, le chagrin, la solitude. Une façon d’écrire sur le sexe torride, que je n’ai lue que chez Henry Miller ou dans la correspondance érotique du XVIIIe siècle, et, c’est peut-etre idiot à dire mais, si c’est une femme qui écrit cela, me voilà encore plus contente.
Becker sait décortiquer les subtilités des affections humaines avec une acuité troublante. Ce n’est pas une histoire de cul. C’est une autopsie des ruines émotionnelles, un espace de narration où la chair parle autant que l’esprit, mais où l’un finit toujours par trahir l’autre. Si je veux être absolument honnête, je ne peux pas dire que je ne me suis pas questionnée sur l’existence de certaines pages. Pourquoi pas l’ellipse, pourquoi pas le silence sur tel ou tel point ? Mais je crois qu’il fallait à Becker en passer par l’exigence du « tout dire », en une sorte de dissection des forces en présence. On sait bien que ni Nelly Arcan ni Annie Ernaux ne « disent tout », tout comme Emma Becker. Il subsiste toujours un reste. Et c’est aussi, je crois, ce reste qui fait littérature. Mais il me semble que si on arrive à s’objectiver de la sorte, c’est qu’on se regarde en face, depuis le point de vue de la mort. On ne peut pas ne pas penser à l’autre Emma B. de la littérature, Bovary, qui subit son destin de personnage, dans l’horreur et le consentement à sa propre dévoration. Ici, il y a donc inversion du procédé. Becker se regarde aller jusqu’au point de non retour et au-delà, et l’écrit. J’ai parfois ri aux larmes, parfois éprouvé une peine sincère. Et terminé la lecture de ce Mal joli tout heureuse pour ses personnages. Le double su***de par empoisonnement ou les trains qui vous roulent dessus, dans les romans d’amour, ça va un temps. Je recommande donc. »
"Le mal joli" d'Emma Becker, disponible en librairie 📚
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