26/09/2024
J moins 19 (hier) / 18 (aujourd'hui)
Informations de contact, plan et itinéraire, formulaire de contact, heures d'ouverture, services, évaluations, photos, vidéos et annonces de LE DIAMANT DE LA VOUIVRE, 309 C chemin du Château de Crangeat, Attignat.
Au Diamant de la Vouivre, on trouvera des livres inédits, hors du circuit habituels de l'édition.Des livres d'Histoire (sous forme de reprint ou de romans), et des polars originaux écrits dans le respect des règles de la littérature...
J moins 19 (hier) / 18 (aujourd'hui)
L'ASSP sera des nôtres au Salon du 13 octobre. Nous ne pouvons que relayer l'appel suivant:
" l’ASSP depuis 25 ans est auprès des personnes gravement malades à l’hôpital, en maison de retraite ou à domicile et les accompagnent dans leur cheminement sans connotation religieuse et gratuitement grâce à une équipe de 30 bénévoles formés et encadrés dans leur pratique d’écoute et d’accompagnement.
Il a paru intéressant de confronter le modèle de notre société de performance, de règles, de normes, quantitative dans les résultats que le système de santé à bout de souffle doit produire et la qualité de relation à l’autre lorsque la vulnérabilité, c’est à dire le fait d’être « blessé » et donc soigné et non pas d’être fragile ou faible, est considérée comme inhérente à l’humain et nous distingue d’objets d’analyse et de savoirs en termes de pathologies à éradiquer.
La richesse de l’expérience de Monsieur Tanguy Chatel nous invite à ne plus considérer la vulnérabilité comme un danger mais comme une nouvelle force pour s’orienter vers un changement de société et l’humaniser. Voici en pièces jointes quelques photos
Tanguy Chatel est maître de conférences chargé d’enseignement universitaire en éthique, soins palliatifs, gérontologie; chercheur sociologue sur les thèmes des exigences de performance et de bien-être, sociologie du vieillissement, de la dépendance et a été membre du conseil scientifique de la SFAP Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs , auteur entre autres ouvrages de "Vivants jusqu’à la mort: accompagner la souffrance spirituelle en fin de vie »
Les auteurs présents au Salon ATTIGNAT EN LIVRES le 13 octobre prochain.
ALAM Rana
ANGELLE Maria
ANGLEDROIT Ciceron (Claude Picq)
Asso Soutien Soins Palliatifs
BAL Serge
BLONDELON Alain, DOMPIERRE Stayly
BOIRON Chantal
BON Denis
BONAVITACOLA Ange
BORJON Patrice
BOURNAS David
BURGER Laurence
CABRERA Lionel
CAVILLON Bruno
CECCONI Serge
CHABANON Louise VALLA
CHARRIN Jean-Luc
CHARRON Sandrine
Chroniques de BRESSE
CLUZEL Annie
COMMUNOD Raymond-Pierre
CRUIZIAT Cyrielle / DI CANDIDO Tiffany
DA SILVA Aurélie
DEPARIS Olivier
Ed ASTRE BLEU
Ed RHEANE . Laura Matthey Jonais
EDISEN
Editions THOT / DUCHOSAL Mathilde
EMONIN Jean Bernard
FABREGUE Anne Léa
FERRARIS Robert
FRANCE-LANORD Henri
GAMBIER Gérald
GARANCE Diane
GARIN Roland
GARNIER Marie
GASTIAN Bérénice (Castrien Elisabeth)
GENTILE Manuel (SANTOS Manuel-Gentil)
GUICHARDAN Maxime
JACQUET Pierre
JACQUIN Sophie / MEUNIER Daniel
JEUNES PRODIGES (Marion Curtillet)
JIMENEZ
JOURDAN Elodie
JUSSEL Ginou
KLEIN Fred
LEGRAIN Cédric
LEOST Laurine
Les Amis du Sougey
MASSINON Anne-Laure
MEMOIRE DE CRAS
MEYER Marie
MIRISKI Jean-Claude
MORIZE Jacques
MOROT-GAUDRY Bernard
NICAUD Jérémy
NICOLAI Denis
PAILLARDET Bernard
PANOT Robert
Patrimoine pays de l'ain
PAUGET Patrick
PERRAULT Hélène
PLATARETS Martine
PSCHENISKA Nadège
RAYNAL Xavier
ROBERT Marie-Claire
ROMANO Martine
RUBERTI Justine
SCHNEIDER Florence
SERVETTAZ Mélanie (louise gardex)
SOLEYMIEUX Laurence
SUBREVILLE Patrick/MILLET Christian - SEA
THIVENT Michel
TOURTOIS Fabrice
TRONTIN Pierre
VALLE Chantal (Automne Vall)
VARICHON Paul
VESIN-CHERIF Aïcha
VINCENT Joëlle
VIPREY Robert
VITTONE Joëlle
Quand il pleut en Bresse, ça ne rigole pas... ou plutôt.. si !
RENDEZ-VOUS
AU SALON DU LIVRE DE
SAINT-LAURENT-SUR-SAONE,
avec tous mes polars
(et un livre-cadeau pour chaque achat);
Un petit coup de rigolade, avec une histoire vraie ?
_____________________________________________
Un quelconque Kilogramme.
(Histoire malheureusement véridique)
Ce matin-là, un mercredi semble-t-il, Alexandre Magnien décroche son téléphone pour composer le numéro d’un célèbre distributeur ultra rapide de papeterie et fournitures de bureau. Des cuillères en plastique au dernier modèle informatique, en passant par le stylo à technologie spatiale, le photocopieur haut de gamme ou le papier toilette dans tous ses états, il y a tout ce que vous pouvez désirer chez ces gens-là… Tout ce qu’il faut pour faire fonctionner votre boîte… A des prix défiant bien entendu toute concurrence !
Donc, Alexandre compose le numéro vert dudit fournisseur chez qui il est un client fidèle depuis… plus de huit ans. Appel gratuit, attente limitée, tout est parfaitement huilé… Une voix chaude et accueillante lui répond qu’il se trouve bien là où il souhaitait arriver, qu’elle est à son service, tout à son service, et qu’il peut causer.
Lui travaille seul dans sa petite entreprise d’impression de photos haut de gamme à la demande, de jolies images sur papier glacé. Il utilise des imprimantes professionnelles de marque connue, c’est plus pratique en cas de pépin… Et, ô horreur funeste, il est en panne de cartouches d’encre. A l’autre bout de la ligne, la voix chaude compatit, tout en notant consciencieusement la demande : deux cartons de dix cartouches couleurs, un carton de dix cartouches noires. De quoi tenir un bon mois. Il ne veut pas avoir plus de recharges en stock, à cause du prix, bien sûr, mais surtout pour être toujours sûr de la fraîcheur des encres.
« Parfait, cher monsieur, vous serez livré demain dans la matinée. » C’est toujours ainsi, que vous habitiez ici ou là-bas à l’autre bout de la planète. Fantastique… Et généralement véridique, ne soyons pas mauvaise langue !
A peine le demandeur a-t-il raccroché son combiné, la mécanique se met aussitôt en marche. L’informatique grésille, le paquet se remplit, la facture s’y joint, et l’emballage est scellé. Une dernière machine colle une énorme étiquette sur le colis, et en route. Un camion avale les kilomètres, remet le tout à un autre camion, d’une marque connue de messagerie rapide.
Tout est parfaitement huilé ! D’ailleurs, il paraît que lorsqu’un transporteur ne joue pas le jeu, il est éliminé au profit d’un confrère… d’un concurrent…
Huilé jusque dans les moindres recoins… Enfin… presque…
Sur l’étiquette, il manque un mot dans l’adresse, le dernier mot de la deuxième ligne… Un mot ridicule, de quelques lettres encore plus ridicules. Pour dire que le client habitant une commune de votre département, dans le hameau en bas de la côte à droite, près du puits gothique (c’est miracle que personne ne l’ait encore pas volé !), à deux pas de la ferme du père Antoine que personne ne connaît, et dont les chauffeurs de camions se fichent éperdument. Mais, ô miracle : la voix chaude et accueillante a demandé le numéro de téléphone du demandeur. Il est là, en gros sur l’étiquette, juste sous le code postal.
Formidable !
Dring ! dring ! dring ! « Tu vas répondre, espèce de… » Croutch ! clac, bing ! Un répondeur… nous v’là bien ! Il est absent le bougre : « On a un colis pour vous, rappelez le numéro ….. »… Point Barre ! Laconique ! Succinct et d’une netteté hallucinante, sans fioriture. On peut difficilement faire plus court…
Vingt minutes plus t**d, le destinataire prend connaissance du message. Et vlan ! Pas d’encre aujourd’hui. La journée est au panier ! A moins que…
Il compose le numéro donné parcimonieusement.
« Allô, vous êtes bien au siège de la société Volrapidos, à votre service… »
Alexandre Magnien expose son cas. On lui demande le numéro de livraison obligatoirement laissé par le livreur. Mais quand il répond que l’autre n’a rien ajouté à son message militaro-simplifié, il a la très nette impression que son interlocuteur, qui n’a pas une voix chaude et accueillante, ne le croit pas, et même le prend pour un crétin ! Alors, il perd patience, le pauvre homme. C’est qu’il en a besoin de ses cartouches. Ce n’est pas de sa faute s’il s’est laissé prendre de court par une panne sèche ! L’autre n’en a visiblement, ou plutôt auditivement rien à faire de ses problèmes de patron surbooké…
L’imprimeur de photos high tech en a marre de la société Volrapidos… Il le dit, de moins en moins aimablement. Il raconte qu’avec eux, c’est à chaque fois des ennuis, qu’ils ne savent pas tenir les délais de livraison, que les livreurs ne prennent aucun soin des colis… Il s’enflamme, sa voix enfle, jusqu’à ce qu’il gu**le que s’il n’a pas son colis dans la journée, il le fera savoir…
Raccrochage mutuel, dans une grande souffrance des combinés.
Il prend quelques minutes pour se calmer, et avertit la personne qui lui a passé commande qu’il aura au moins une journée de ret**d. Et il se fait engu**ler ! Normal, après tout, c’est sa faute aussi, d’habiter à Pétaouchenoc ! Il aurait pu loger 44 rue du Bac en pleine ville, au lieu d’être au 52 Allée de la Vieille Horloge du Grand Moulin du Pont des Eaux, au bout de personne ne sait combien de kilomètres de bouses de vaches ! Une adresse tellement longue qu’elle ne tient sur aucun formulaire : une lettre par case, et pas une de plus. Il manque chaque fois un mot, ou deux, c’est selon les logiciels d’adressage. La Vieille Horloge plonge dans le ruisseau, et paf ! Plus rien. Le gouffre abyssal. Et comme le livreur ne doit pas avoir de langue pour demander son chemin, il se retrouve perdu de chez Perdu !
Le lendemain se traîne à pointer son nez ennuagé.
Une camionnette, enfin ! Heureux bruit de diesel surchauffé. Il faut dire que chez Volrapidos, l’accélérateur est l’outil de travail des chauffeurs stressés.
« Voilà votre colis, dédaigne le livreur, il ne faudrait pas croire qu’on fait exprès de vous ennuyer. »
Le livré réplique vertement qu’il comprend bien le bonhomme, et que ce n’est qu’une caractéristique inhérente à l’entreprise elle-même.
Visage fermé du chauffeur qui remonte dans son engin et file dans un nuage noirâtre.
Vite ! Alexandre file dans son atelier, au rez-de-chaussée de son pavillon. « Il n’a pas l’air très gros ce paquet, marmonne-t-il. D’ici à ce qu’ils aient oublié des pièces… »
Il ouvre son colis…
Horreur !
Catastrophe !
Séisme intensité neuf sur un échelle bien connue !
Dans le carton de format trente-cinq centimètres par quarante-cinq centimètres, sur vingt-cinq centimètres d’épaisseur, bien fixée sur le fond par un plastique opaque thermo chauffé, se prélasse ce qu’il lui semble être une boîte. Une seule petite boîte ridicule, au fond de ce gros carton. S’attendant au pire, il déchire le plastique : c’est bien ce qu’il avait entrevu à l’ouverture ! Une boîte…, mais une boîte d’un kilo de sucre !
Pas n’importe quel sucre, vous ne direz : du préemballé… Identique à celui que vous servent tous les bistrots de France et de Navarre, et même du reste de la planète quand vous commandez un petit noir au comptoir !
Le jeune homme tombe à la renverse sur une chaise. Une boîte de un kilo de sucres préemballés pour faire rugir son imprimante ! Il hallucine !
« Ils se foutent de moi ! Ils se foutent de moi ! C’est pas possible ! »
Il fouille un peu dans les plis du plastique qui tient fermement le contenu du carton. La facture est là, dans sa belle enveloppe aux armes de la société de bureautique. Il tire sur l’enveloppe, qui manifeste un peu de résistance avant de capituler. La main tremble. Il décachette, retire la feuille, la parcourt d’un regard assassin… Il ferme un instant les yeux, en expulsant un long jet d’air, dégoûté… L’autre bout de la France ! Le paquet était pour l’autre bout de la France. Une autre entreprise. Un kilo de sucre pour là-bas, depuis la région parisienne… Dingue !
Quel m***ant sur la facture ? Il n’ose pas jeter un œil… C’est pas vrai ? Il y doit y avoir une erreur de produit ! Cinq euros et quarante deux centimes ! Hors taxes ! Ben tiens ! Y a donc pas de vendeur de sucre dans cette belle ville du bout de la France ? Pas de magasin d’alimentation ? Pas de grande surface ? Ou de moyenne ? Voire même de petite surface ?
Il retombe sur sa chaise, se demandant si le désert avait tant progressé depuis la dernière fois où il avait lu un journal. Ils n’en ont pas causé dans le poste ! Non plus à la télévision… Cela se saurait, tout de même.
Il se dit qu’un beau jour, on va se réveiller au milieu d’un océan de sable sans rien y comprendre. Le moindre poulet se sera transformé en autruche.
Quant à lui, il ne faut pas longtemps pour qu’il comprenne qu’il est mal, très mal ! Pas d’encre, cela veut dire un travail qui ne sera pas fourni à temps. Un client furieux qui ira voir ailleurs. Il ne pourra pas lui annoncer benoîtement qu’il a reçu un kilo de sucre à la place de ses cartouches. Tout interlocuteur sain de corps et d’esprit se frapperait le front, et se sauverait à la vitesse de la lumière. Et pour lui, plus de boulot. Remarquez que s’il n’a plus de boulot, il n’a par conséquence directe plus besoin d’encre, et peut alors aller tranquillement se préparer un bon café ou un excellent chocolat avec du sucre issu du fameux paquet !
La colère monte chez notre homme. Il bondit dans son bureau, se jette sur le téléphone, décroche rageusement… Numéro du fournituriste (encore un de leurs nouveaux mots !) ? Ah ! Le voilà… Et gratuit, en plus… Encore heureux !
« Bonjour, chère madame, voilà ce qui m’amène. »
Il raconte le coup du sucre à imprimer, le coup de la cartouche sucrière ! A l’autre bout, des instructions avaient dû être données, car la dame comprend très vite. Elle est forcément au courant… Ce sont trois étiquettes qui se sont mélangées dans la colleuse automatique, et ont atterri sur des colis différents. Un des trois destinataires a reçu les cartouches, un autre le sucre (vous ! moi !!), un troisième les…
« Mais je m’en contrefiche ! Je veux mes cartouches, ce n’est pas compliqué à comprendre, ça ! Des cartouches d’encre… C.A.R.T.O.U.C.H.E.S. ! Pour donner à boire à une imprimante qui piaffe d’impatience… moins d’ailleurs que le client ayant commandé la travail, lequel client est vert de rage ! »
« Bon, bon ! On va vous livrer demain à la première heure. Promis… juré… craché ! »
Et elle lui annonce qu’on enverra un transporteur reprendre le sucre !
« Ah !
Ah bon ! Si vous le dîtes. »
Il est interloqué. Reprendre le sucre ? Donc reprendre les cartouches là où elles ont atterri, certainement dans la boîte où la secrétaire (ou le patron !) a un tel lumbago qu’elle (qu’il) ne peut faire trois mètres douze pour acheter un kilo de sucre au petit magasin du coin, et reprendre encore le troisième colis ailleurs dans notre beau pays. Trois cartons, trois camions, trois déplacements, trois…
Hallucinant ! Ce n’est plus de la logistique, c’est de l’abnégation pure et simple ! La boîte de bureautique fait dans l’ONG à outrance…
Et en effet, dès le lendemain, aux aurores, un quinze tonnes se gare devant la maison de notre imprimeur pour récupérer le kilo de sucre dans son carton refermé avec soin à l’aide d’une solide toile adhésive, armée de fils de nylon, de cinquante millimètres de largeur, à la colle indestructible, et d’une blancheur éblouissante.
Il n’a pas longtemps à attendre. Juste le temps de calculer que le kilo de sucre, de 5,42 euros au départ, était maintenant situé dans une fourchette de prix allant de 16 à 26 pauvres malheureux euros : la matière elle-même, plus les deux transports, la conversation téléphonique, et tout et tout.
Un second camion stoppe dans le portail, aussi essoufflé que le premier.
Le carton de cartouches arrive dans la foulée. Intactes ; et c’est bien ce qu’il avait commandé, cette fois, et pas un panda en plastique, ou un four à micro-ondes…
Vingt secondes plus t**d, les imprimantes crachent leurs photos haut de gamme avec un plaisir non dissimulé. Le ret**d est rattrapé dans la journée. Au moment où le client vient chercher sa commande, la dernière photographie est en train de naître.
Alexandre ne perd pas son client, et en gagnera même de nouveaux, tant le premier sera content de la prestation, et le fera savoir à ses connaissances.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Trois colis à récupérer, à reconditionner et à réexpédier, cela devait se chiffrer dans les deux-cent à deux-cent-vingt euros… environ. Une broutille pour notre économie soit disant déclinante !
Quelques jours plus t**d, Alexandre Magnien est affalé devant sa télé, face au journal de treize heures. Le présentateur semble se bidonner un peu trop pour annoncer « LA » nouvelle de la semaine : le déclenchement d’une grève sauvage, à l’usine Machin, à l’autre bout de la France. La raison en était très obscure, les syndicats eux-mêmes étaient bien en peine de donner une explication claire. Il semblait que le personnel avait cessé le travail spontanément, parce qu’il n’y avait plus de sucre pour mettre dans le café !
Il ouvre de grands yeux, et part d’un gigantesque éclat de rire qui lui secoue les tripes, le remue de droite et de gauche.
Il rit, il rit, il rit… Cela ne lui a jamais fait autant de bien, de se marrer comme cela. De grosses larmes de joie coulent le long de ses joues. Pour un peu, il se roulerait par terre !
La sonnette de la porte d’entrée l’interrompt brutalement. Il lui faut une bonne poignée de secondes pour se calmer, pendant lesquelles la sonnette s’énerve.
Voilà… voilà…
Tiens donc… ? C’est le livreur de chez Volrapidos !
« Un colis pour vous. J’espère que je suis à l’heure, pour une fois ? »
Il ne relève pas, il a encore mal aux côtes d’avoir rigolé… Machinalement, il signe le bon de livraison.
L’autre ne salue pas, et repart !
Il entre, pose le paquet sur une chaise, et retourne se poser devant le journal télévisé. Le sujet est tout autre, une sombre histoire de meurtre non résolu qui…
Mais…
Quelque chose turlupine notre ami Alexandre… Il n’a rien commandé de spécial ces temps-ci… Il n’attend donc pas de livraison. Encore une erreur ?!?
Il se retourne d’un bloc.
Il est là, sur la chaise, inerte, masse inanimée qui n’a pas vraiment d’âme, n’en déplaise au poète, donc qui ne comprend rien à la situation extraordinaire…
Il reconnaît la bande adhésive blanche : SA toile adhésive ! Celle qui a servi à requinqué un certain emballage… Il jaillit de son fauteuil comme un diable en manque de victimes ! D’un geste rapide, il arrache la toile adhésive, ouvre le carton…
Là, tel qu’il l’a remballé, gît LE kilo de sucre, SON kilogramme de sucre !
Osons nous représenter le prix atteint par cette boîte : un transport de plus, une grève générale dans une entreprise, des colères ici ou là… Bref ! Une fortune !
Le kilo de sucre le plus cher de l’Histoire !
Depuis, Alexandre Magnien a acheté une petite vitrine, où est exposée cette œuvre d’art à la mémoire de quelques cafés bien amers ! Il n’a pas rappelé le géant de la bureautique instantanée. Il sait qu’au bout d’un an et un jour, ce merveilleux produit issu d’une canne dite à sucre sera à lui définitivement ! Alors autant le choyer et le mettre en valeur !
Allez hop ! Aujourd'hui, une légende bressane... Mais est-ce vraiment une légende ?
LA VOUIVRE DE JASSERON
Sur la colline, une tour déchiquetée par les âges et la folie de certains hommes veille encore sur le village qui frissonne dans les frimas d’un hiver particulièrement rude…
La ruine se dresse sous le ciel enneigé. Elle fut jadis donjon, un donjon en fer à cheval, élevé au-dessus du vide, poste avancé du château du sire de Coligny. Sentinelle obligée de la Bresse, sur le grand chemin qui conduisait de Bourg vers le Haut Jura, en escaladant les pentes abruptes du Col de France. Plus au nord, loin de la basse cour protégée par une dizaine de tours plus majestueuses les unes que les autres, un fossé avait été creusé à même la roche, pour protéger la forteresse, large de plus de dix mètres, profond de sept. La bâtisse avait fait la loi sur le sud bressan durant quelques siècles.
Mais, lorsque la Bresse fut rattachée à la France, un beau matin de l’année 1601, on délaissa peu à peu le château. Oublié, pillé ici et là par tous ceux qui construisirent leur logis en lui volant quelques pierres, quelques poutres, il menaça vite ruine.
Pourtant, la légende courait… avait la vie dure…
Elle racontait qu’un des derniers seigneurs du lieu avait caché les trésors de sa famille avant de mourir sans descendance…
Ce matin de la veille de Noël, le Tonin était attablé avec deux ou trois comparses à une table de la taverne de maître Martin Gaétan, au bourg de Jasseron que domine la ruine. Fort d’une lampée de trop du vin aigrelet de l’aubergiste, ce fameux noâh qui en rendit fou plus d’un, le bonhomme égrenait d’une voix hésitante et empâtée :
― Comm’j’t’l’dis ! monsieur Piarou ! Ouais… Un trésor… Y a un trésor, là d’dans !
― Tu racontes n’importe quoi, empoté que tu es. Et pourquoi pas une dame-fée, pendant que tu y es ?
― Ah que oui, bonhomme ! Il est gardé par un’fée si belle que t’en tomb’rais su’les fesses !
― Allez… Viens t’en, je te raccompagne jusque chez toi, où ta Marie va te jouer une belle chanson…
― Que non ! Ecout’ donc un peu, cré vintié ! J’m’en vas te ra-conter ce que je sais, que j’tiens du vieux Jacquou…
L’autre s’esclaffa :
― Le Jacquou ? Le plus grand menteur que la terre ait jamais enfanté ? Tu me fais…
― Vas-teu te taire, à la fin ! Ou faut-y que j’te ferme ton foutu clapet ?
Comme le Tonin était connu pour avoir le vin mauvais au moins une fois sur deux, et que tous savaient que ses poings étaient soli-des comme des masses de forge, son ami Piarou se tut, laissant l’autre lui narrer l’affaire :
― Figure-toi qu’on ne sait pas pourquoi le maître des lieux avait eu la lubie d’enterrer son trésor, tout son argent, et puis ses bijoux et son or, dans le souterrain qui file du château vers la plaine… Toujours est-il qu’il est bien là, quelque part… et que celui qui mettra la main dessus, n’aura plus rien à craindre de l’avenir. Lui et tous ses descendants !
― Il y en a tant que cela des sous ? demanda un des convives.
― Et comment !
― Et depuis tout ce temps, personne n’est jamais allé le cher-cher ? C’est quand même bizarre, tu ne trouves pas, Tonin ?
― Que non, c’est pas bizarre, rétorqua l’ivrogne qui parlait de plus en plus normalement, comme si son récit le dessaoulait. Que non, c’est pas bizarre, triple andouille que tu es ! C’est qu’on ne sait plus où il est, ce souterrain, avec tous les chamboulements qu’il y a eu là-haut. Le château était fichtrement grand à l’époque. On dit qu’il aurait mesuré dans les quarante mètre sur plus de soixante. Et même plus… Imaginez un peu, mes gâchons… Bon ! Je reprends… Ce trésor, beaucoup y ont pensé, et y pensent encore. La légende dit que chaque nuit de Noël, à minuit pile, on peut y accéder !
― Ben tiens ! Tu n’y es pas allé, toi, des fois ?
― Ben non… Il faut être au bon endroit. Tous ceux qui sont allés se servir en pierres pour construire leurs maisons, ont laissé des tonnes de gravats, si bien que cela a dû obstruer l’entrée. Il faut paraît-il avoir bon œil pour la trouver, cette foutue entrée…
― Ce qui n’est pas ton cas… avec tout ce que tu bois !
― Ah… mais… Je m’en vais te casser la figure, bougre de malheureux que tu es !
Le Toine se leva, renversant sa chaise, pour s’approcher de l’inconnu qui avait proféré l’ânerie. Heureusement, Piarou se mit en travers, l’amadouant :
― Toine… Mon vieil ami… Que faut-il donc faire à Noël pour trouver ce fichu souterrain ?
Ces mots remirent Toine sur les rails de son histoire :
― Rien de plus facile, mon gars, fit l’autre en se rasseyant. Tu te pointes là-haut et tu attends. Au premier coup de minuit, si tu sens le sol bouger, c’est que tu es au bon endroit. Le tertre de pierrailles s’ouvre en deux, laissant juste la place pour te faufiler. Tu te sers, tu peux prendre tout ce que tu veux… A une seule condition, et elle est pas banale : il te faut sortir de ce trou à rats avant que le douzième coup de minuit ne sonne, car la roche se referme à ce moment-là. Si t’es encore d’dans, t’es foutu, mon bon, t’es foutu ! Le machin ne s’ouvrira de nouveau que la prochaine nuit de Noël, un an après : imagine dans quel état tu seras !
Il partit d’un grand rire qui rebondit le long des grosses poutres de la taverne, si vieilles qu’elles devaient elles aussi provenir de… là-haut !
― Et tu n’as pas essayé ?
― Oh que si ! Mais je n’étais jamais là où il fallait. Le temps de contourner le château, le sol s’était déjà refermé ! Une fois, pour-tant, j’ai aperçu la lueur qui s’échappe de ce maudit souterrain. J’ai foncé, mais dans le noir, une racine m’a envoyé dans les ronces…
― Donc, personne n’a eu la chance d’être là au bon moment ?
― Si, que ben ! Le Claudius de Revonnas, tu connais ben ?
― J’en ai entendu parler. On dit qu’il a disparu un jour, et que personne ne l’a plus revu…
― C’est vrai sûr ! Et ben, figure-toi qu’il est monté là-haut… Il a trouvé l’entrée du souterrain. Il a été trop gourmand et est resté coincé dans le boyau. Il a dû y crever, le pauvre gars… avec des tonnes d’or pour toute nourriture !
― Ben dis donc… Ben dis donc…
Tout en racontant son histoire, le Toine avait derechef avalé quelques gorgeons. Il avait la bouche de plus en plus pâteuse au fur et à mesure qu’il avançait dans ses explications. Il dodelinait de la tête, ouvrait et fermait les yeux, les roulant dans leurs orbites, tout en poussant de gros soupirs. Il finit par se lever, aidé par son ami, et cahin-caha, entreprit de quitter l’établissement, sous les regards mi moqueurs mi consternés des habitués. C’est sûr que la Marie avait de la patience à revendre, pour supporter une pareille éponge !
Dans un coin de la salle, quelqu’un n’avait pas perdu une miette de l’échange entre les ivrognes. C’était la Marcelle, qui habitait à l’entrée du village, côté nord, près de l’embranchement qui monte vers les Combes. Elle était là par hasard, n’ayant plus de lait pour son petiot. Un beau poupon de six mois à peine, né le printemps précédent. Elle était venue acheter un demi-pot du précieux breuvage à maître Gaétan. Un demi-pot seulement… tant la pauvreté encerclait la pauvre femme. Son époux, le jeune Gervais, trimait du petit matin au soir couché, se louant de ferme en ferme pour un salaire de misère, quelques sols à chaque fois. Que le seigneur de l’endroit se pressait de faire fondre en prélevant les impôts ! Mais ils étaient fiers et voulaient y arriver par eux-mêmes, sans avoir à de-mander l’aumône.
Marcelle sortit précipitamment de l’auberge et rentra chez elle où elle avait laissé son petit endormi. Le froid prenait possession de la vallée, déboulant des hauteurs du Col de France. Elle frissonnait dans la bise mauvaise, tout en échafaudant mille et un plans : elle aurait cet argent, il le fallait, pour elle, pour Gervais, pour le petit Paul.
Elle entra dans sa modeste chaumière. Le bébé dormait encore. Elle s’attela à la préparation du repas, recluse de fatigue, amaigrie par des mois et des mois de privations. Et personne sur qui compter. Ses parents ne voulaient pas de son union avec Gervais, ils l’avaient mise dehors. Le couple avait dû changer de village, s’éloigner pour ne pas essuyer les moqueries des voisins. Depuis le haut Bugey, ils avaient marché longtemps pour se fixer ici, où personne ne leur demanda jamais rien. Gervais était apprécié pour son travail, et elle pour sa gentillesse. Mais il était hors de question de demander quoi que ce soit à sa famille !
On était la veille de Noël, la messe de minuit aurait lieu d’ici quelques heures… Gervais voudrait s’y rendre… Elle resterait là, le bébé étant trop petit pour rester seul si longtemps, durant les presque deux heures que durerait l’office, sans compter le temps de s’y rendre et d’en revenir.
Le repas fut silencieux. Le pauvre Gervais n’avait rapporté que quelques sols de sa journée passée à retirer des m***agnes de fumier d’une étable, dans une ferme éloignée. Il n’avait pu obtenir plus du fermier, lequel était connu pour être un bien mauvais payeur. Malgré sa fatigue, le jeune homme partit pour l’église, laissant sa femme et son petit. Il avait une grande foi en Dieu et voulait lui demander de l’aide…
Sitôt son homme parti, Marcelle s’habilla d’une vieille pelisse rapiécée, enveloppa petit Paul d’une couverture, et quitta sa pauvre masure. Elle vérifia que personne ne pouvait l’apercevoir. Pas âme qui vive en vue… Tous étaient à la messe, sans doute. Ceux qui n’y étaient pas, se réchauffaient tant bien que mal autour de l’âtre…
En quelques pas rapides, elle se retrouva sur le chemin caillouteux et couvert de chardons secs qui m***ait vers l’antique tour. Sa masse sombre se découpait sur le paysage laiteux de neige. La morsure du froid au travers des sabots n’arrêta pas la jeune femme. Elle eut vite fait d’arriver près de la ruine, zigzaguant entre des gros blocs de roche et des tas de pierres tombées des anciennes tours et de la muraille. D’autres qu’elle auraient pris peur face à ces formes sombres, fantômes surgis d’un passé dont on savait peu de choses. Mais l’espérance la soutenait, elle devait aller là-haut, elle devait tenter la chance. Sortir de la misère… Donner à son cher époux et à leur fils une autre vie… Et si cela ne marchait, elle aurait le temps de redescendre avant la fin de l’office religieux.
Elle s’accroupit près de la ruine éventrée, se calant contre un rocher plus important que les autres, à l’abri de la bise qui sifflait dans les tiges décharnées par l’hiver.
Et attendit…
A part le vent, aucun bruit ne vint la distraire…
Au premier coup de minuit, là, en bas, au clocher de Jasseron, elle se releva, plissant les yeux pour embrasser tout l’espace…
C’est alors que, face à elle, entre deux arbres morts mangés de mousse verglacée par la neige et le givre, la terre se mit à vibrer !
Au second coup de cloche, un mince passage s’ouvrit, sans un son, sans même un bruissement. Résolument, elle s’y engagea, son petit Paul serré contre son cœur, à la limite de l’inconscience… Elle se retrouva dans une sorte de grotte illuminée par quelque chose qu’elle ne put localiser. Tout autour d’elle, des coffres, de toutes tailles, dont certains, ouverts, regorgeaient de pièces d’or, de pierreries en tous genres…
Le troisième coup de minuit sonna au loin, affaibli par la masse de roche.
Eblouie par tant de merveilles, elle resta une seconde interdite, les yeux écarquillés. Il y avait tant d’argent, tant de richesses… Par-tout, tout autour de cette grande salle souterraine…
Quatrième coup de minuit…
Marie saisit le vieux sac qu’elle avait pris soin d’emporter et voulut commencer à le remplir. Gênée par son petit, elle le déposa doucement près de l’entrée. Il dormait à poings fermés, calme, heureux…
Cinquième coup…
La jeune femme puisa ici et là, à pleines mains, dans les coffres qui s’offraient, presque avec indécence.
Sixième coup…
Les pièces ruisselaient entre ses doigts. Pourtant, elles ne produisaient aucun bruit en rebondissant les unes sur les autres. Cela ne l’alerta pas.
Septième coup…
Elle ne vit même pas l’ombre qui se déplaçait sans le fond de la grotte surgie sans doute du souterrain qui s’enfonçait sous le plateau, courant sous la terre vers une destination que plus personne ne connaissait.
Huitième coup au clocher dans la vallée…
Là-bas, la messe devait battre son plein, les fidèles recueillis pour fêter la venue au monde d’un enfant il y avait si longtemps…
Neuvième coup…
Peu lui importait… Elle continuait à remplir son sac. Il était main-tenant gonflé de trésors. Il y en avait déjà bien assez pour leur pro-curer à tous trois une vie confortable jusqu’à leur fin.
Dixième tintement de cloche…
Marie l’entendit à peine, puisant encore et encore dans les coffres. L’or exerçant sur la jeune femme sa fascination millénaire, faisant oublier le présent, s’insinuant en elle pour brouiller son entendement, lent poison qui détruisit tant de vies au cours des âges.
Onzième coup au vieux clocher…
Marie piochait toujours. Son sac plein pesait lourd, trop lourd. El-le sembla se réveiller soudain, alors que le douzième coup de minuit sonnait dans la vallée. Vite, elle fila vers la sottie. Un rocher qui affleurait lui fit perdre l’équilibre. Lâchant le sac rebondi de pièces d’or, elle roula sur elle-même, s’écorchant aux ronces et aux pierres. Elle sentit la bise lui mordre le visage. Delors ! Elle était dehors !
Elle se retourna, brusquement, comme électrisée : son enfant ! son petit Paul !
Là, dans l’anfractuosité qui se refermait lentement, elle entrevit une forme, légèrement lumineuse… Une femme, grande et belle, vêtue de blanc. Une femme au regard de braise qui la fixait… Dans ses bras… petit Paul, toujours dormant, calme, reposé…
La roche se referma, sur son enfant… et sur cette femme inconnue, définitivement…
Marie comprit brusquement l’horreur de sa situation.
Elle, dehors, libre… Un gros sac d’or à ses pieds…
Paul, au cœur de la colline, prisonnier dans cette grotte, entre les bras… d’une… femme, d’une… fée, ou d’une… sorcière…
Alors, un long hurlement jaillit de sa gorge, qui emplit l’esplanade où jadis se dressait un des plus fiers châteaux de Bresse. Des habitants de Jasseron, rentrant de la messe, l’entendirent… Une longue plainte portée par la bise turbulente. Ils se dirent que si les loups s’approchaient si près du village, l’hiver serait encore long et rude…
Là-haut, Marcelle était tombée à genoux, priant le ciel, ou s’adressant au rocher, qu’on lui rende son enfant, qu’on ne le laisse pas seul dans le noir du souterrain. Elle s’adressa à la femme inconnue entr’aperçue, l’abjurant de bien vouloir rouvrir le passage, de la prendre elle aussi pour qu’elle soit avec son petit.
Elle murmura, elle cria, elle pleura, elle implora, elle hurla… Ses larmes brûlantes percèrent la croûte gelée de la neige… En vain… Le rocher resta sourd à ses cris…
Gervais était rentré directement chez lui, refusant de suivre quelques compagnons à la taverne qui était restée ouverte sur autorisation du châtelain. Il préférait retrouver femme et enfant. Aussi, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir une maison vide… Le feu était mort dans l’âtre. Marcelle et petit Paul n’étaient pas là ! Il ressortit, fouillant les alentours… En vain… Il essaya de suivre les pas dans la neige, mais ils s’estompaient au grand chemin qui, damé, ne laissait rien entrevoir. Il demanda aux plus proches voisins ; mais ces derniers étaient avec lui à l’office, et ne purent le renseigner…
Toute la nuit, il chercha, de ci, de là, allant d’un bosquet à l’autre, s’attendant chaque fois au pire. Il ne trouva rien.
C’est dans l’aube naissante qu’il l’aperçut enfin.
Marie descendait le vieux sentier, celui qui mène au château par le côté nord.
Gervais ferma un instant les yeux, envahi d’un affreux pressenti-ment. Avant de courir au devant de son épouse.
Elle était en pleurs, hagarde, se tordant les mains. Il la prit dans ses bras… avant de s’apercevoir que Petit Paul n’était pas avec elle :
― Marcelle, ma chère Marcelle… Où étais-tu donc ? Et Paul ? Où est-il ? Qu’as-tu fait, ma chère épouse ?
Elle pleura encore, elle hoqueta. Entre chaque sanglot, elle par-vint à lui raconter sa folie, la nuit d’horreur. Elle avait voulu donner un peu de joie à leur foyer, juste un peu d’or pour vivre mieux, pour ne plus courir après le pain journalier, pour que lui ne se tue plus au travail, pour que… pour que…
― Mais Paul ? Où est Paul ? Où l’as-tu laissé, qu’on le retrouve avant qu’il ne soit trop t**d ?
Marie murmura la fin de son histoire, ivre de douleur, percluse de honte :
― Il est là-haut ! Là-haut…
― Là-haut ? Dans le froid et la bise ? Mais comment as-tu…
― Prisonnier de la grotte ! hurla-t-elle.
― Comment cela, prisonnier ?
― Je suis tombée en ressortant, j’ai roulé au-dehors… Et elle, elle a gardé notre Paul contre son cœur, en me fixant de son regard de feu… Il est là-haut, là-haut… avec elle !
― Qui ça, elle ?
― La fée… La dame du plateau…
― Quoi ? Tu as laissé l’enfant à la dame du château, à la fée, à la vouivre ?
― Je ne lui ai pas laissé… Elle l’a pris ! Elle me l’a pris !
― La dame du château ? Celle dont on dit qu’elle ne put jamais avoir d’enfant, et qui hante pour l’éternité la lande et les ruines ? Tu as fait cela, femme ?
Pour toute réponse, Marie s’écroula sur le bord du chemin. Puis, tandis que Gervais, anéanti par ses révélations, se rendait compte peu à peu de la situation, elle se releva, à genoux :
― Pardon… Pardon, mon époux, mon Gervais, hoqueta la jeune femme en enserrant la taille de son mari. Pardon, mon aimé, par-don, pardon…
Il la repoussa violemment, l’envoyant rouler dans la neige.
Et lança alors ces mots terribles :
― Pardon ? Tu demandes pardon ? Tu laisses notre enfant aux mains… d’un… d’un… fantôme… et tu demandes pardon ? Honte à toi, mère indigne, épouse inattentive à sa famille. Tu te prends aux filets de… Satan, et tu voudrais que je pardonne. Non ! Non ! Non ! Jamais ! Pas de pardon pour une mère qui préfère quelques pièces à son petit. Fuis d’ici avant que je ne t’envoie à ton tour dans les bras du Malin. Je ne veux plus te voir ! Tu n’es plus digne de vivre parmi nous ! Va-t-en ! Et ne reviens que si tu arrives à arracher petit Paul des griffes de cette maudite à laquelle tu ressembles désormais. Va-t-en !
La pauvre Marcelle, anéantie, ne sut que répondre. Le regard de son époux la terrifiait. Si ses yeux en avaient eu le pouvoir, elle se-rait déjà foudroyée, là, sur le seuil de sa maison. Elle hésita un instant. Elle savait qu’elle pouvait, gémissante, repentante, suppliante, finir par attendrir Gervais, faire en sorte qu’il lui accorde un début de pardon, qu’ils pourraient alors partir à la recherche de leur enfant… Pourtant, c’était à elle-même qu’elle ne pardonnait pas… Son petit Paul, là-haut… au cœur de la colline, aux mains de… la… fée !
Elle ne put user de son charme pour convaincre son époux. La honte la submergeait, par vagues immenses, et la laissait pantelante face à cet homme qui la violentait du regard…
Alors, l’âme ravagée, elle tourna le dos, à sa maison, à son amour perdu… A son village où les gens la montreraient désormais du doigt si elle restait !
Petit pas après petit pas, dans un déchirement, elle s’en alla, au hasard, là où son pied la conduirait. Elle se condamnait à l’exil, espérant qu’elle pourrait un jour expier sa faute, un jour enfin regarder en face son crime…
Elle longea la colline maudite, s’enfonça dans la vallée. Là, au cœur de la forêt qui reprend ses droits dans sa bataille contre les hommes, s’ouvre un chemin, à main droite, qu’on aperçoit à peine. Elle s’y engagea, pas vraiment consciente… Peut-être que là-haut, sur l’autre colline, les Combes l’accueilleraient-elles sans trop la juger…
Elle longea la colline maudite, s’enfonça dans la vallée. Là, au cœur de la forêt qui reprend ses droits dans sa bataille contre les hommes, s’ouvre un chemin, à main droite, qu’on aperçoit à peine. Elle s’y engagea, pas vraiment consciente…
La pente était raide et dangereuse. Marcelle n’en avait cure, elle avançait, les yeux brouillés, l’esprit près des ruines. Qu’allait faire la fée de son enfant ? On disait tant de choses sur cette vouivre : qu’elle attaquait les voyageurs pour les égarer et les séduire, avant de les martyriser ; qu’elle dévorait les petits enfants ; qu’elle chantait les soirs de pleine lune pour faire pourrir ou dessécher les récoltes ; qu’elle… qu’elle…
N’ayant jamais cru à ces horreurs, voilà que Marie commençait à douter…
Bientôt, sur le chemin qui arrivait en haut des Conches, elle entrevit une forme, là où on disait que les maîtres de Rome avaient hésité à construire un castrum, avant de choisir l’emplacement du vieux château. C’était une femme qui la regardait venir en ce lieu où seules quelques granges délabrées témoignaient d’une ancienne occupation humaine.
Marcelle reconnut la Berthe, qui avait un beau jour décidé de fuir la compagnie des hommes pour ne plus vivre dans le mensonge et la bataille, disait-elle… Depuis le jour où tout le village l’avait vue s’en aller sans un regard en arrière, elle vivait là, de cueillette, de l’élevage de quelques poules, d’une vache…
― Bienvenue à toi, Marcelle, lui dit-elle. Viens avec moi. Ici tu se-ras tranquille. Personne ne viendra te chercher querelle.
― Mais tu ne sais donc pas ce qui…
― Bien sûr que si, je sais… Ne me demande jamais comment je le sais, mais je suis au courant ! Tu as voulu défier la destinée. Tu as perdu. Pour moi, c’est tout !
Marcelle l’observa un moment. L’air farouche de la Berthe ne lui faisait aucune peur. Bien au contraire, elle sentit que cette femme avait subi de grandes peines. Elle se jeta à ses pieds, agrippa le bas de sa jupe :
― Merci, Berthe, merci… Si tu…
― Relève-toi, s’écria l’autre. Je n’ai pas à être remerciée. Ni même à te pardonner quoi que ce soit, si c’est ce que tu t’apprêtais à dire… Je n’ai rien à te pardonner. Ce que tu as fait, toi seule peut le défaire…
― Le… défaire ?!
― Oui, le défaire. Si ton Gervais avait compris cela, au lieu de te bannir, il aurait pu t’aider… Quant à ceux du village, je préfère ne pas en parler ! Viens-t-en avec moi. Nous partagerons le peu que je possède, et tu verras, le temps fera son office.
― Mon petit Paul… Avec cette…
― Ne t’inquiète pas pour ton enfant. Si la Fée du Mont le tenait sur son cœur, alors il est en de bonnes mains. Peut-être le reverras-tu un jour prochain. Elle n’est pas Méchante, tu sais… Elle a juste eu de quoi souffrir, elle aussi, en son temps où… nos semblables ne toléraient pas les « femmes au ventre sec » ! Horrible qualificatif pour celles qui ne pouvaient concevoir de petit…
Berthe prit Marcelle par le bras, et l’entraîna vers la grange où elle avait élu domicile.
Les jours passèrent, neigeux, venteux, de plus en plus froids…
Dans la vallée, Gervais commençait à regretter de s’être emporté. Malgré les mots bien durs des autres habitants du village pour sa chère femme, il se demandait de plus en plus s’il ne devait pas la re-chercher, la retrouver… quitte à pardonner…
Mais personne ne savait où elle avait pu aller. Beaucoup s’en moquait d’ailleurs complètement :
― Pas besoin d’une si mauvaise mère par chez nous, qu’elle aille au diable, là où est sa place ! ,entendait-on le plus souvent.
Il avait demandé à la Berthe, un jour qu’il l’avait rencontrée si elle avait par hasard aperçu sa femme, ou entendu quelqu’un en parler. Cette dernière avait haussé les épaules, rétorquant qu’elle avait autre chose à faire que s’occuper de sa Marcelle.
Toute misérable qu’elle était, Gervais trouvait sa maison bien vide sans son épouse, qui égayait leur vie de ses rires, ses chansons, son entrain communicatif. Peu à peu, les médisances de ses voisins le laissèrent de glace, et il était prêt à accueillir Marcelle si elle re-venait. Il était même prêt à aller la chercher, si on lui disait où elle se terrait…
Peut-être que ?...
Un beau matin, il s’enfonça dans la forêt qui couvrait toute la partie nord, derrière le vieux château. Le sous-bois était sombre, le chemin mal défini. Il se trompa souvent de direction… Il finit par trouver l’habitation… à vrai dire une grotte taillée dans un pan de roche qui faisait saillie sous le grand chemin. Bien en dessous, dissimulée par des broussailles fort épineuses, avec un mur de pierres sèches à l’entrée, percé d’une fenêtre dont les m***ants ouvragés provenaient certainement de la ruine.
Celle qui vivait ici l’avait senti venir de loin. N’était-elle pas un peu sorcière ?
― Que veux-tu donc, Gervais, pour venir me déranger de si bon-ne heure ?
― Te voir, Bella…
― Ça je m’en doute un peu, sinon tu ne serais pas là ! Parle donc !
― Sais-tu où est maintenant Marcelle ?
― Celle que tu as chassée, alors qu’elle n’espérait qu’un peu de réconfort et d’aide ? Tu ne manques pas d’air ! Lui as-tu au moins pardonné ?
― Je… Je ne sais pas… je crois que… oui…
― Te voilà bien peu sûr de toi ! Sache cependant que je ne suis pas à même de te répondre…
― Mais pourquoi ?
― Parce que je n’en sais rien ! Eh oui, Bella ne sait pas quoi ré-pondre… Pourtant, je sens confusément qu’elle peut être toute proche. Tu dois fouiller les environs, tous les environs, mon petit Gervais. Sache encore qu’elle te reviendra…
― Tu es certaine de ce que tu…
― Maintenant, laisse-moi, veux-tu ?
La vieille femme entra dans sa grotte, repoussant une porte anti-que derrière elle, mettant un terme à la discussion.
Gervais renifla un grand coup, puis haussa les épaules, et fit demi-tour.
Sur l’autre versant de la colline, Marcelle était à genoux dans l’antique chapelle construite là par des pâtres tout aussi anciens que le bâtiment. Des larmes plein les yeux, elle murmurait, en direction de la statue noirâtre d’une dame dont on devinait cependant la fière allure :
« Dame des Conches, toi qui veilles sur la Bresse et plus encore, toi qui viens en aide aux épouses dont le sein n’a pas connu l’enfant, je viens à toi, comme hier, comme demain. Toi qui connais la détresse des mères à qui il manque un petit, je t’implore du fond de l’âme.
« Je ne sais si mon fils Paul est toujours là-haut dans les ruines du vieux château. Je ne sais ce qu’en a fait la dame fée. Je prie chaque jour que Dieu fait pour qu’elle prenne soin de lui…
« Je ne désire qu’une chose, Dame des Conches : reprendre mon enfant à cette vouivre, et reparaître auprès de mon cher époux… Jamais je n’aurais dû me rendre là-bas la nuit de Noël. C’était folie pure d’une mère qui voulait un peu d’aisance pour son foyer.
« Si petit Paul n’est plus de notre monde, si la fée des ruines l’a abandonné, alors je ne désire qu’une chose, ultime : que je puisse lui donnez une vraie sépulture, qu’il devienne un ange auprès de vous.
« Alors, Dame des Conches, fais seulement en sorte que j’arrive au moment de l’ouverture du rocher.
« Si par toi m’est rendu son pauvre corps inanimé, ou si je puis l’arracher à la vouivre de ces lieux, j’en atteste en ces lieux que tant de mères sont venues visiter : je te donnerai un bel édifice pour ta plus grande gloire. J’en fais le serment sur ce que j’ai de plus cher… »
Le calvaire de Marcelle dura une année, au cours de laquelle la pauvre femme vint tant et tant de fois prier et implorer la Dame des Conches. Un an durant lequel Gervais, de son côté, la chercha sans jamais la rencontrer. Il allait comme une âme en peine, fréquenta plus que de raison le cabaret de Jasseron, au point que l’aubergiste le mit dehors avec l’interdiction de revenir ! Douze longs mois où tous deux se morfondirent en regrets et en espoirs chaque fois abattus par le temps qui défilait.
Un soir, enfin, le carillon appela à la messe de minuit.
Sans se faire remarquer par les paroissiens qui filaient dans la neige, Marcelle descendit des Conches le plus vite qu’elle put. Elle tomba plusieurs fois, se releva d’autant. Arrivée en bas, un coup d’œil à droite, un autre à gauche la rassura : personne en vue sur le grand chemin. Elle traversa bien vite et m***a de l’autre côté. La neige, épaisse, la ret**da un peu, elle n’arriva qu’au second coup de minuit.
La tour était encore plus noire que la première fois. Marcelle eut l’impression qu’un voile immense l’enveloppait.
Elle perçut une lueur, sur la droite de la ruine, s’y précipita. Le souterrain était en train de s’ouvrir, une fois encore. Ne réfléchissant plus, le cœur en feu, les yeux brouillés, elle dévala les quelques marches. Là, assis dans le coffre où elle avait puisé les mortelles ri-chesses, petit Paul la regardait arriver, souriant, babillant dans sa langue de bébé. Plus fort, plus beau, qu’il y a un an.
Et, comble de bonheur pour cette mère qui avait enduré le martyr depuis Noël dernier, il lui adressa un magnifique sourire.
La jeune femme se précipita pour saisir son enfant.
Une forme sombre s’interposa entre elle et le petit. Une grande et belle femme, portant une escarboucle sur le front : la Vouivre des ruines. Marcelle voulut la bousculer, mais l’autre résista :
― Attends, Marcelle !
― Attendre ? Cela fait maintenant une si longue année que j’attends ! Une année entière à prier, à pleurer, à chercher comment retrouver mon petit… Et tu veux que j’attende ?
― Je le sais… Mais n’est-ce pas de ta faute, jeune fille ? Si tu n’avais pas été ensorcelée par tous ces trésors, tu aurais eu à la fois l’argent et l’enfant ! Au lieu de cela, tu as voulu toujours plus. Ta cupidité t’a perdue !
― Je ne le sais que trop. Mais je me fiche de tout cet or. Le plus beau des trésors est là, c’est mon Paul qui me tend ses bras !
― Cela aussi, je le remarque. Mais pour me le reprendre, il te faudra remplir une condition, jeune Marcelle…
― Une condition ? Et pourquoi donc ? Paul est mon fils, à moi seule !
― Si fait… Sache que je ne veux pas te le prendre… Mais ne l’ai-je pas nourri tout ce temps ? Ne me suis-je pas occupée de lui ? Tu sais parfaitement ce qui lui serait arrivé si je ne l’avais pas recueilli…
― Bien, finit par admettre Marcelle. Quelle est cette condition ? Dis-le moi…
― Je veux juste le revoir de temps en temps, comme si j’étais une vieille… tante… qui vient vous rendre visite, à Gervais et à toi… Es-tu d’accord ?
― Oui, nous le sommes ! dit une voix sourde derrière Marcelle.
Elle se retourna d’un bloc, tétanisée. Gervais se tenait sur la der-nière marche de l’escalier, toisant la scène du regard. Il était lui aussi monté aux ruines, espérant sans trop y croire que la roche s’entrouvrirait. Il avait bientôt repéré les traces laissées par Marcel-le, et les avait suivies.
La jeune femme l’observa un instant, détaillant son visage amaigri. Elle tremblait de peur, s’attendant à entendre les paroles fatidiques une nouvelle fois.
Gervais descendit jusque vers les deux femmes. Il fixa longue-ment son épouse, puis, brusquement, ouvrit les bras. Marcelle s’y jeta en poussant un grand cri. Les bras se refermèrent autour d’elle, tandis que le jeune homme répétait :
― Bien sûr que nous sommes d’accord d’offrir une tante à petit Paul. Une tante qui pourra venir frapper à notre humble porte chaque fois qu’elle le désirera !
La Dame des Ruines saisit alors l’enfant et le donna à sa mère qui l’inonda de larmes de joie. Son cher petit, son ange… Elle eut une pensée affectueuse en direction de l’autre Dame, celle des Conches, celle-là.
Le couple réuni prit congé de la maîtresse des lieux. Le douzième coup de minuit avait sonné depuis bien longtemps quand ils commencèrent à remonter les marches :
― Vous oubliez quelque chose ! dit la vouivre.
Gervais et Marcelle se retournèrent :
― Et quoi donc ? Nous avons notre petit trésor…
― Je crois que vous devriez aussi emporter le sac que Marcelle a rempli il y a un an…
― Pas vraiment… fit Gervais.
― Oh que si, mes bons amis. Vous ne croyez tout de même pas que je vais laisser mon charmant neveu vivre dans la pauvreté, alors que tout cela ne demande qu’à l’aider !
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Attignat
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