25/11/2023
Retour au bercail.
La ville de Strasbourg redevient française le 22 novembre 1918.
Au carrefour de la civilisation gauloise et germanique, Strasbourg et son arrière-pays attisent les convoitises depuis toujours.
Strasbourg est fondé par les Gaulois appartenant à la ligue des Belges au IIIe siècle avant l’ère chrétienne.
Le site répond alors du nom d’Argentorate, étymologiquement le fortin (« rati- » ) d’argent (« arganto »).
La modeste place où s’élève des maisons sur pilotis (en raison des marais) laisse place, après les travaux d’assèchement, à un important oppidum.
Cet oppidum est doté d’habitations bâties sur la terre ferme, d’un sanctuaire et d’un marché.
Après la conquête romaine, la ville est rebaptisée Argentoratum.
Elle devient en 12 avant notre ère un camp miliaire stratégique, à la frontière entre le monde soumis à la discipline latine et le monde germanique resté indépendant.
Au cours du IIe siècle, la ville devient la base de rempli des garnisons romaines de retour de campagne en Germanie, l’empire déborde alors de la rive droite du Rhin.
Alors que les légions romaines quittent la Germanie en 260, Argentoratum redevient une ville frontière entre le monde latin et le monde germanique.
La cité régresse alors en centre de ravitaillement, alors que les frontières de l’Empire atteignent le Danube à l’est, Argentoratum compte alors environ vingt mille habitants.
Saccagée par les Alamans en 355, la ville retrouve son rôle de place forte militaire lors des incursions germaniques, dès 357 contre Chnodomar, roi des Alamans.
Mais le début des incursions germaniques, qui ira crescendo après les grandes invasions de 406, signe l’acte de décès d’Argentoratum.
La ville, partiellement détruite par les Germains à la fin du IVe siècle, sera complètement rasée en 451 par les Huns dirigés par Attila.
La cité va alors renaître de ses cendres grâce aux Francs.
Dès 496 sous le règne de Clovis, les Francs relèvent la place et la dotent de son nom définitif : Strateburgum.
La ville devient le siège d’un évêché, qui constitue le lieu d’exercice du pouvoir politique en remplacement du pouvoir impérial.
Strateburgum est alors la synthèse caractéristique de l’union politique et militaire entre les Francs et l’élite gauloise de l’époque.
Strasbourg devient ainsi une ville franque pleinement intégrée dans le Regnum Francorum des Mérovingiens puis des Carolingiens.
Ceci pendant près de cinq cents ans.
En 842, la ville accueille Charles II le Chauve et Louis II de Germanie qui prononcent les Serments de Strasbourg contre leur frère Lothaire, pour le partage de l’empire de leur grand-père Charlemagne.
Le traité de Verdun, conclu l’année suivante, attribue Strasbourg à Lothaire.
Dès lors, Strasbourg et son arrière-pays vont devenir pour les mille ans à venir un territoire convoité tant par les Francs (puis les Français) que par les Germains.
La Lotharingie est en effet incorporée à la Francie orientale en 925 par Henri Ier, roi de Francie orientale depuis 919.
Prenant acte que les Germains ne sont pas des Francs, Henri rompt avec l’usage de ses prédécesseurs.
Il rebaptise la Francie orientale en « Germanie », c’est l’acte de naissance du futur Saint Empire romain germanique.
Strasbourg passe de deux mille cinq cents habitants à près de dix mille habitants en deux siècles, elle devient l’une des plus grandes villes de l’Empire.
Elle se voit octroyer le statut de « ville libre » au sein du Saint Empire en 1201 grâce à Philippe de Souabe.
Au cours des trois siècles suivants, des tensions politiques vont naître régulièrement.
Au XIIIe siècle, entre les partisans d’un pouvoir laïc et les évêques revendiquant un pouvoir temporel sur la ville.
Au XIVe siècle, entre plusieurs familles de la noblesse et de la bourgeoisie de la ville, conduisant à la reprise en main de Strasbourg par sa classe marchande.
A la fin du XVIe siècle, Strasbourg connaîtra une « guerre des évêques » protestants et catholiques de la ville.
Ceci, dans le contexte plus général des guerres de religion qui impactent également cette ville d’Empire.
La ville commence à entrer de nouveau dans l’orbite française sous le règne de Louis XIV.
Près de sept cents ans après avoir quitté le Regnum Francorum des Mérovingiens et de leur successeurs Carolingiens.
Le traité de Westphalie, magistralement négocié par Mazarin en 1648, permet à la France de reprendre pied en Alsace.
Strasbourg, ville libre de l’Empire, est désormais isolée dans l’espace français qui se recompose sur la rive gauche du Rhin.
Affaiblie financièrement et délaissée par les Impériaux, les magistrats de la ville remettent les clés de la cité à Louis XIV en octobre 1681.
Le 24 octobre, le roi de France fait une entrée solennelle dans la ville, il fait abattre les fortifications de Strasbourg et rend la cathédrale aux seuls catholiques.
Un Te Deum est joué pour la circonstance comme il est d’usage sous le règne de Louis XIV.
La réunion de la ville à la France est confirmée par le traité de Ryswick entérinant la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697).
L’Alsace réintègre l’antique Regnum Francorum, le caractère français de Strasbourg ne sera plus contesté pendant plus de cent soixante-dix ans.
A la faveur du désastre de la guerre franco-allemande de 1870, la ville et la province regagne leur lit germanique en vertu du traité de Francfort de 1871, finement négocié par Bismarck.
Un talent de diplomate et de stratège qui n’aurait pas déplu à Mazarin.
« Pensons-y toujours, n’en parlons jamais » avait coutume de dire Gambetta et ses successeurs au sujet de l’Alsace Moselle perdue.
La ville de Strasbourg redeviendra française le 22 novembre 1918, onze jours après l’armistice signée entre la France et l’Allemagne en forêt de Compiègne.
Les Français ne se contenteront pas de Strasbourg. Sans toutefois franchir le Rhin, les Poilus se dirigeront plus au nord.
En décembre, toute la Rhénanie (rive gauche du Rhin) sera occupée par les Français, les Anglais et leurs supplétifs américains.
Illustration : Fercham, « 1870-1914 la France délivre ses enfants » droits réservés.
Pour aller plus loin : Benoît Jordan, « Histoire de Strasbourg », éditions Gisserot-Histoire, 2006.
105 ans jour pour jour, le 22 novembre 1918.